C’est un petit rêve qui se réalise aujourd’hui. Après les avoir contacté en ligne, je rencontre pour la première fois l’équipe des Magician without borders au Brésil, dans la ville de Sao Paolo et ses environs. Cette association à but non lucrative a pour objectif de financer des voyages bénévoles dans les zones en difficultés ou précaires du monde. Cet un concept que j’avais longuement envisagé de mon côté, et c’est un vrai bonheur de découvrir que d’autres personnes ont réussi à le concrétiser avec un impact bien plus grand que tout ce que j’avais pu imaginer.

Tom, le fondateur de l’association, est l’exemple même de la personne que je veux devenir à 75 ans. Il est vif, ouvert d’esprit et ne manque jamais de nous faire sourire, que ce soit grâce à ses blagues ou à ses tours de magie. Carlos, magicien-jongleur de Colombie, est le cerveau de l’opération. Il a recruté Alejandro, un magicien local, pour nous aider en servant d’interprète et de guide vers nos différentes destinations. Le reste de l’équipe vient de d’horizons divers, principalement des Etats-Unis, avec notamment des membres du club de magie de Yale qui collabore avec l’association depuis des années. Nous faisons tous connaissance en nous baladant sur la place du marché et nous comparons nos tours en les testant sur les passants dans la rue.

Un jour, alors que nous étions en train de nous installer dans une librairie, Carlos aperçoit un groupe de prisonniers accomplissant des travaux d’intérêt général. Avec ses balles en mousse, il leur improvise quelques tours de magie. Au départ, les prisonniers restent impassibles, et nous commençons à nous demander si nous n’aurions pas mieux fait de les laisser tranquille. Mais soudain, l’un d’eux demande une autorisation à son surveillant et s’approche de Carlos. Il lui dit alors : « Si vous faites à ces enfants ce que vous venez de nous faire, vous allez marquer leur esprit à jamais ! Est-ce qu’on peut vous aider ? » C’est ainsi qu’ils se joignirent à nous pour installer le décor.

L’une des associations locales avec qui nous sommes en contact nous retrouve en plein milieu d’une rue piétonne. Pendant que nous préparons notre matériel, ils étendent un pique-nique sur le sol et attendent. Petit à petit, des enfants émergent de tous les côtés et s’installent en cercle pour manger. Les responsables de l’association nous expliquent que ces enfants vivent dans la rue avec leur famille et qu’organiser ce pique-nique est une façon de s’assurer qu’ils viendront assister à notre spectacle. Leur objectif au quotidien est d’apporter aux enfants des rues une forme de thérapie à travers l’art.

Notre première prestation a lieu dans un orphelinat. Comme nous sommes nombreux, chaque artiste n’a besoin de présenter qu’un numéro de trois minutes, ce qui permet une grande diversité dans les performances. Les enfants nous adorent et réclament des photos à la fin du spectacle : le début de la célébrité ! D’autres prestations s’enchaînent rapidement dans des écoles, des librairies, un centre de désintoxication, une maison de retraites, un hôpital et d’autres lieux culturels. Entre les spectacles, nous découvrons la vie locale et ses nombreux bars dansants.

Leur impact est indéniable. La prestation qui fut la plus enrichissante à mes yeux a eu lieu quelques jours avant notre départ, dans une région provinciale reculée, loin de toute civilisation. Les habitants de ces lieux n’ont pas officiellement le droit d’y résider, ce sont des familles qui ont cherché à sortir de la pauvreté en réquisitionnant des terres inexploitées par l’État pour y cultiver des fruits et des légumes. Seul problème, les vrais propriétaires des terres n’apprécient pas leur présence et envoient régulièrement des milices pour tenter de les chasser par la force et la peur.

Alejandro était particulièrement enthousiaste à l’idée de rencontrer cette communauté exilée du reste du monde. Il nous confie que c’est cette opportunité qui l’a poussé à rejoindre notre équipe. Sur place, nous rencontrons des habitants joyeux et ravis de nous accueillir. Après le spectacle, nous restons même pour jouer avec les enfants un petit moment. Ce n’est qu’en parcourant les habitations que je finis par remarquer de nombreux impacts de balles sur les murs, traces silencieuses des horreurs qui ont lieues périodiquement.

Notre dernier spectacle se déroule dans le théâtre historique de la ville. L’ambiance est bien différente de nos précédentes représentations : nous répétons dans les coulisses, testons les lumières et profitons de nos loges personelles pour nous restaurer. Les Magician Without Borders aiment conclure leurs séjours par un grand spectacle tout public et payant afin de récolter des fonds pour leur prochaine mission ou pour financer un nouveau club local. Cette année, ils ne seront pas déçus. Nous performons devant plus de 700 personnes, sur la plus grande scène de la ville. La standing ovation qui clôture le spectacle est la récompense de tous les efforts que nous avons mené ensemble ensemble pour perfectionner nos numéros et leur synergie durant ces dix derniers jours.

Le soir, nous nous retrouvons une dernière fois dans un bar pour danser la salsa avec les locaux. C’est le moment des séparations, et chacun repart à son rythme. L’énergie créatrice, le goût de l’aventure, le rythme effréné et la richesse de la culture brésilienne vont énormément me manquer ; mais je rentre chez moi le cœur plein de souvenirs inoubliables.